Devant la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, le Premier ministre Manuel Valls a présenté le projet de loi de révision constitutionnelle « de protection de la Nation ».
La vidéo de la réunion est visible sur le site de l’Assemblée nationale.
Le discours du PM est téléchargeable ici : 270116DiscoursMVallsPMCommLoisRevisionConstitutionnelle
Annoncé par le Président de la République lors du Congrès réuni à Versailles le 16 novembre 2015, trois jours après les attentats de Paris et Saint-Denis, ce projet comporte deux articles.
L’article 1er : une étape nécessaire pour protéger l’État de droit face à de nouvelles menaces
L’article 1er inscrit l’état d’urgence dans la Constitution, alors que son régime était jusqu’à présent fixé par une loi ordinaire. Ce fondement est jugé nécessaire pour moderniser le régime de l’état d’urgence « dans des conditions telles que les forces de police et de gendarmerie puissent mettre en œuvre, sous le contrôle du juge, les moyens propres à lutter contre les menaces de radicalisation violente et de terrorisme ». Comme le faisait l’article 3 de la loi du 3 avril 1955, il est prévu que la prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne pourra être faite que par la loi qui devra en fixer la durée.
Sur ces dispositions, je n’exprime pas de réserves personnelles.
Face à la gravité du moment, je partage l’analyse de la plupart des responsables politiques : répondre avec sang-froid aux attaques d’une barbarie sans précédent que nous subissons, avec la détermination et la fermeté qui s’imposent, exige que nous adaptions notre loi fondamentale en constitutionnalisant l’état d’urgence. Donner un fondement constitutionnel incontestable au régime de l’état d’urgence permet de renforcer la sécurité des Français, tout en encadrant cet état d’exception, en empêchant sa banalisation et tout recours excessif.
Il s’agit donc d’une mesure visant à garantir les principes de l’État de droit et le respect absolu de nos institutions, ce qui était une exigence forte des députés, en dépit de l’émotion du moment, dès le vote de l’état d’urgence le 20 novembre. La mise en œuvre de l’état d’urgence a d’ailleurs fait (et fait toujours) l’objet d’un contrôle étroit et continu de la part du Parlement.
L’article 2 : une réécriture satisfaisante
Dans sa rédaction originelle, l’article 2 permettait à une loi ordinaire de prévoir la déchéance de la nationalité de personnes nées françaises, ayant une autre nationalité, et condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. La déchéance de nationalité n’est aujourd’hui possible qu’à l’encontre de personnes nées ressortissantes d’un autre État et devenues françaises postérieurement.
J’avais exprimé dans ces pages mes réserves à l’égard de cette mesure ainsi rédigée, qui créait une inégalité en droit, particulièrement stigmatisante, entre nos compatriotes, entre des Français qui seraient « de souche » et des Français qui seraient « de papier ». Introduire la binationalité dans la Constitution, c’était de facto créer deux catégories de Français.
En écrivant cela, je pense à Christiane Taubira (femme de conviction et de combat que je veux saluer chaleureusement) et qui dans son discours de passation de pouvoirs a eu des mots forts : « Le péril terroriste est grave et imprévisible. Nous sommes déterminés à l’abattre. Nous ne devons lui concéder aucune victoire ni politique, ni militaire, ni symbolique (….) Notre pacte républicain est assez solide pour résister aux tragédies. il est bien plus fort. »
A mon sens, la nouvelle proposition d’écriture faite par le Premier ministre sur la déchéance de nationalité, sans aucune référence à la binationalité, ni dans le texte constitutionnel, ni même dans la loi ordinaire, apporte une réponse proportionnée et respectueuse de ce pacte républicain.
Ainsi :
- Le principe d’égalité de tous les citoyens commande d’unifier les régimes applicables aux personnes condamnées encourant la déchéance, qu’elles soient naturalisées ou nées françaises.
- Seules des infractions d’un niveau de gravité très élevé pourront justifier la procédure de déchéance. Les crimes certes, mais sans doute aussi les délits les plus graves, tels que l’association de malfaiteurs à caractère terroriste, le financement direct du terrorisme ou l’entreprise terroriste individuels, tous punis d’une peine de dix ans d’emprisonnement.
- Le champ sera strictement limité au terrorisme et aux autres formes graves d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, parmi lesquels l’espionnage et la trahison.
- La loi ordinaire comprendra un article instaurant un régime global concernant l’ensemble des personnes condamnées pour les atteintes graves aux intérêts fondamentaux de la Nation et couvrant à la fois la déchéance de nationalité et la déchéance de tout ou partie des droits attachés à la nationalité actuellement prévus par le code pénal.
Un dernier débat devra être conduit puis tranché : doit-il s’agir d’une décision administrative subordonnée à l’avis conforme du Conseil d’Etat ou bien doit-on en revenir à un régime de peine complémentaire prononcée par le juge pénal, en l’occurrence la juridiction nationale spécialisée dans la lutte contre le terrorisme ?
Je souhaite que ce débat aille sereinement à son terme, dans le cadre de la discussion parlementaire.
Ainsi formulé, l’article 2 correspond à l’engagement du Président de la République d’exclure de la communauté nationale ceux qui prennent les armes contre elle, sans pour autant créer d’inégalités entre les Français, comme le souhaitait la majorité socialiste.
Il faut saluer le dialogue entre l’exécutif et le Parlement qui construit cette réforme. La majorité comme l’opposition sont directement associées à son élaboration et leurs propositions sont entendues. Cette démarche traduit une réelle volonté d’unité nationale face au terrorisme.