Les troubles à l’ordre public sidérants qui se sont produits à Calais dans la nuit du 23 au 24 janvier (avec le blocage du port), les images révoltantes de la « jungle » et des conditions de vie dégradantes qu’y subissent quelque 4000 migrants qui veulent aller en Angleterre, nous rappellent à quel point la réponse des autorités publiques à la crise migratoire doit impérativement être plurielle.
Le soutien financier à la municipalité de Calais, la sécurisation des Calaisis, du tunnel, du port, de la rocade et du campement, la mise en place de solutions humanitaires, l’accélération des procédures d’asile, l’aménagement sanitaire du campement, le départ de migrants vers des centres d’accueil et d’orientation ailleurs en France (qui a permis de ramener le nombre de migrants présents à Calais de 6000 à 4000 en quelques mois, alors même que la crise migratoire que connaît toute l’Europe ne faiblit pas) font partie de l’arsenal de réponses que le Gouvernement déploie.
Mais il y a une action en coulisses, moins visible, qui est tout aussi cruciale pour faire face à l’urgence humanitaire et sécuritaire que représente la crise migratoire : ce sont les efforts pour accélérer la mise en œuvre des décisions prises au niveau européen en septembre dernier (voir mon article à ce sujet ici). L’accord du 22 septembre, qui s’imposait à tous les États-membres, et était articulé autour du principe de « maîtriser et s’organiser », avait soulevé de grands espoirs. Il est plus que temps de voir sa traduction sur le terrain.
Sur ce chapitre, la France met une pression considérable sur les institutions et les États membres de l’Union européenne. C’est ce que Bernard Cazeneuve a encore fait ce lundi à Amsterdam à l’occasion de la première réunion des ministres de l’Intérieur de l’UE en 2016. A lire : le compte-rendu que fait Le Monde de cette réunion sous ce titre « Paris veut des actes concrets, et vite« .
L’Europe est capable d’accueillir ceux qui l’appellent à l’aide, avec des conditions et avec des règles. Si un continent aisé, qui compte 450 millions d’habitants, ne peut être solidaire de quelques centaines de milliers de personnes en détresse qui ont dû se résigner à l’exode, alors qui le pourra ?
S’agissant des réponses à la crise migratoire, la France défend donc avec constance les mêmes mesures depuis août 2014 :
- Les contrôles aux frontières extérieures de l’UE et le renforcement de la coopération en matière de contrôle des flux migratoires. Ces contrôles sont d’autant plus nécessaires qu’ils constituent aussi la condition du maintien de la libre circulation, principe essentiel à la construction européenne.
- L’installation des dispositifs de rétention, en vue de l’identification des migrants et de la distinction de ceux qui relèvent du statut de réfugié et de ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière (les « hotspots »).
- Une convention de retour des migrants économiques irréguliers dans les pays de la bande sahélienne, et la mise en place de centres de maintien.
- Un dispositif de relocalisation et de réinstallation de migrants relevant du statut de réfugié arrivés sur le territoire européen.
- Une coopération renforcée avec les pays tiers qui accueillent des réfugiés et sont en première ligne. Ils doivent être accompagnés par des mesures concrètes, en particulier un renforcement à très court terme des moyens des agences et programmes des Nations Unies (Haut-commissariat pour les réfugiés, Programme alimentaire mondial, UNICEF). Une aide financière de 3 milliards d’euros a ainsi déjà été versée à la Turquie pour accompagner la maîtrise des flux migratoires. En contrepartie, l’Europe doit exiger davantage d’actions de la part de ce pays.
La crise migratoire est intimement liée au sujet de la lutte contre le terrorisme. Là encore, les réponses ne peuvent se limiter au seul cadre national, aussi complet soit il (voir mon article à ce sujet ici). Le problème est européen et global, les réponses doivent l’être tout autant.
- La proposition française de directive sur le Passenger Name Record européen (le fameux PNR qui regroupera les données des passagers aériens en Europe) doit impérativement être votée en février par le Parlement européen, avec obligation pour les États membres de le la transposer dans leur droit interne dans un délai maximum de 2 ans. Sur ce sujet, les demandes françaises ont été largement entendues : les vols charters et intra-européens ont été pris en considération, la durée de conservation des données sera de 5 ans et la durée de masquage de 6 mois.
- La proposition française de modification de l’article 7-2 du code frontières Schengen, destinée à mettre en place des contrôles approfondis de l’ensemble des ressortissants européens revenant sur le territoire de l’Union ou le quittant, doit également être appliquée.
- La directive européenne relative aux armes à feu a été révisée en novembre dernier, après un long bras de fer, pour renforcer le contrôle des armes et rendre plus difficile leur acquisition. Cette action européenne coordonnée de l’ensemble des États était indispensable, et la France doit désormais veiller à son application rapide et stricte.
La France insiste également sur de nouvelles demandes, qui doivent avancer d’ici au 25 février, date de la prochaine réunion européenne « Justice et Affaires Intérieures » :
- Que les pays de l’UE qui disposent d’informations sur le caractère terroriste d’individus les versent au SIS (Système d’Information Schengen).
- Qu’une task force soit créée pour lutter contre les faux documents, avec Europol et les services de police spécialisés, afin qu’un contrôle des documents soit assuré au moment du franchissement des frontières extérieures.
- Il faut également obtenir l’interopérabilité du SIS et des autres fichiers criminels. Les empreintes digitales de ceux qui sont entrés mais aussi de ceux qui ont commis des infractions doivent pouvoir « sonner » facilement.
La feuille de route de la France pour 2016 est claire. Après le premier pas décisif accompli en 2015, il faut qu’elle devienne désormais celle de l’UE car il y a plus que jamais urgence. Confrontée au double défi de la menace terroriste et de la crise migratoire, l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Pour reprendre les mots de Bernard Cazeneuve, « soit l’Europe sait prendre et mettre en œuvre rapidement les décisions qui s’imposent pour être à la hauteur des enjeux de la crise migratoire, soit elle échoue, au risque de se couper durablement des peuples qui la composent et de devoir revenir sur des avancées fondamentales, notamment sur Schengen. » J’ajoute à cette analyse que sans actes concrets rapides, l’Europe se fragilisera considérablement face à la montée des populismes et des euroscepticismes de tout poil sur l’ensemble du continent. La crédibilité de l’institution européenne est également en jeu.